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NIGEROPOLIS
24 août 2013

Les alliances (symmachiai) politiques, ou véritable perversion de l’art politique ?

Quand deux Titans politiques se querellent voilà ce qu’ils pourraient se dire intérieurement :

La thèse de Mahamadou Issoufou : « Ce n’est pas parce qu’on a un pied dans la tombe, qu’il faut se laisser marcher sur l’autre » (François Mauriac, le monde, 19 août 1998). Et Hama Amadou de répliquer : « C'est proprement vivre les yeux fermés que de vivre sans philosopher» (Descartes, Principes de la philosophie, préface).

Si on peut un tant soit peu paraphraser Michel Onfray, on pourra avancer que toutes les fois que dans un Etat, il y a des troubles politiques, des dissensions politiques vaines,  il y a sans conteste « déficit d’intelligence politique ». 

A la lumière des derniers événements politiques au Niger, à savoir le changement de gouvernement: « Gouvernement d’ouverture », suivi du retentissant retrait des ministres de Lumana, force est de donner aujourd’hui raison à la pensée de Raymond Aron, quand dans la Revue française de science politique, il mettait en exergue cette palinodie entre « catégories dirigeantes »  et « classes dirigeantes ». Dans le cadre du divorce politique intervenu entre PNDS et Lumana, ne sommes-nous pas in situ entre l’immoral et l’amoral ?

Depuis plusieurs décennies, le Niger est dirigé par une « classe politique », qui dialectiquement est devenue une « classe dirigeante » (bourgeoise, insolente et méprisante), qui « fait et défait », « refait et défait » la politique au Niger. Le Niger et sa vitalité sont pris en otages par cette camarilla politique qui ne veut pas laisser [lâcher] le pouvoir comme un fauve qui tient sa proie dans ses crocs. Cette classe politique dirigeante hypothèque l’avenir de la génération future. Elle handicape également la modernité du pays et toutes les chances d’un mieux être pour les Nigériens.

Il faudrait à mon semble réexpliquer ce qu’est la politique et la politeia, en vue d’aboutir à la finalité de la politique et le rôle de l’homme politique dans une République. Si cela est établi, il serait aisé de faire voir en quoi, le sumphéron (l’intérêt général) va au-delà des intérêts partisans. Car ces vaines rivalités intempestives nuisent au bien collectif, au bonheur, à la tranquillité publique, à la sécurité, et en dernière instance à la prospérité économique. 

Raymond Aron, en bon scientifique définit la nature de son objet en ces termes : « Nous appelons catégories dirigeantes, les minorités qui occupent des positions ou accomplissent des fonctions telles qu’elles ne peuvent pas ne pas avoir une influence sur le gouvernement de la société. Autrement dit, la notion de « catégorie » doit soigneusement se distinguer de celle de « classe ».  Notre auteur emploie la notion de « classe » qui est un concept propre à Karl Marx, mais s’en éloigne en mettant plus particulièrement l’accent sur un concept moderne de « classe dirigeante ». Historiquement, c’est-à-dire au temps de Karl Marx, l’Etat était dirigé par une minorité, qu’il nomme la « classe dominante », celle qui dirige, et qui domine l’économie. En d’autre termes, la classe dirigeante est dans l’optique de Raymond Aron la nouvelle oligarchie, cette « classe dirigeante » qui s’est accaparée de l’Etat ; mieux qui essaie vaille que vaille de diriger l’Etat comme une entreprise. Fort heureusement, cette classe dirigeante doit aujourd’hui tenir compte de l’érection d’une nouvelle classe plus dynamique et patriotique, qui lui fait front, à savoir les nouvelles « catégories dirigeantes », dont l’excellente figure se réduit chez Raymond Aron à l’expression « couches défavorisées », regroupées aux seins des syndicats et des corporations. Leurs diverses luttes, et leurs organisations constantes, pour défendre leurs intérêts contre leurs dirigeants et l’Etat, impactent, influencent sur les choix directionnels et étatiques.

A l’examen, il saute aux yeux que si nous actualisons la pensée de Raymond Aron à nos nouvelles réalités politiques, il se dégagera de manière poignante une injustice sociale perpétrée par la nouvelle oligarchie moderne nigérienne, qui n’a pas enterré la vielle oligarchie des sociétés grecques classiques, où le pouvoir a toujours été aux mains d’une minorité que combattait le démos (aujourd’hui la société civile qui défends les intérêts du  démos], c’est-à-dire les plus nombreux, ou ce qu’Aristote appelait la multitude. Lorsqu’il y a lutte politique, (du grec stasis, qui a le même sens que discordes, zizanies, dissensions, troubles politiques, etc.)  dans la société grecque, Aristote la réduisait à cette fameuse lutte qui opposait les nantis (la minorité) aux pauvres (la multitude). Cette lutte à l’époque entraînait inéluctablement la transformation des institutions politiques, induisant du coup un changement drastique de gouvernement. Devant les iniquités de la classe oligarchique, le peuple mettait alors au pouvoir un démagogue (ou un tyran) qui défendra ses intérêts contre ceux de la classe minoritaire.

Le concept de « catégories dirigeantes » a été privilégié au détriment de celle de « classe dirigeante », car aux yeux de Raymond Aron, la société d’aujourd’hui dite classiquement moderne, n’est plus comparable à celle brossée et critiquée par Karl Marx, même si au demeurant les iniquités demeurent. Partant de l’analyse sociologique de notre société actuelle, Raymond Aron n’y voit plus cette dichotomie, entre classe bourgeoise, communément appelée la « classe dirigeante », qui dispose des moyens de production et du capital, et la classe prolétaire, qui ne dispose que de sa seule force de travail. La réalité de cette ancienne lutte de classe, est l’exploitation inhumaine d’une minorité sur la majorité. Toutes les décisions sont prises par le patronat, qui est le dieu absolu de la décision. Aujourd’hui il est aisé de forcer ce parallèle en considérant « le patronat politique nigérien » comme la classe dirigeante, et source de tous les maux du Niger. Or cette classe dirigeante (corrompue, qui excelle dans le partage des postes ministériels et de commandements, dans le vol des biens de l’Etat, et violent allègrement les droits de l’homme), est confrontée de plus en plus aux réticences et aux revendications de la nouvelle classe oppositionnelle : la société civile.

Il est aisé d’observer en effet la nouvelle réalité du pouvoir de décision, qui n’émane plus de la seule capacité de la « classe dirigeante », mais qu’aux seins de tous les syndicats et autres corporations professionnelles, il est juste de parler de nouvelles « catégories dirigeantes » désignées par leurs bases, en vue de défendre leurs intérêts contre le patronat politique et contre les décisions arbitraires de l’Etat. La matérialité de cette nouvelle « force sociale » est assertée par la formule suivante : « Il existe en n’importe quel régime une catégorie que l’on appellera personnel politique, c’est-à-dire une minorité (quelques centaines ou quelques milliers de personnes) qui, conformément à la formule de légitimité et à la traduction institutionnelle de celle-ci, est engagée dans la compétition dont l’exercice du pouvoir est l’enjeu ou encore minorité qui englobe les délégués de ceux qui détiennent le pouvoir. ». En d’autres termes, cette minorité de personnes charismatiques, de délégués et autres en tant que forces sociales, constituent aux yeux de Raymond une la nouvelle classe dirigeante, qui est incontestablement un personnel politique, au même titre que le personnel politique propre à tout régime politique.

 L’analyse de Raymond Aron est d’actualité, car il a observé en sociologue et en scientifique, le nouvel phénomène politique que constitue « la catégorie dirigeante ». Au temps de Marx, nous n’avons pas une telle division des pôles décisionnels. On peut dire qu’il y a eu une évolution dialectique dans le rapport entre l’ancien patronat et le nouveau prolétariat qui s’est érigé en instance de décision, en vecteur de décision.

Or, dans la doctrine marxiste de l’Etat nous savons qu’il n’existe que deux classes antagonistes, les pauvres et les bourgeois. Et nonobstant la démocratie qui est censée égaliser les droits des individus, la même réalité demeure : une « classe dirigeante » toujours plus puissante et dominante, et une classe de pauvres, de défavorisés qui subit l’inégale répartition des richesses.

Toutefois, la nouvelle réalité observée par Raymond Aron porte sur le processus de la prise de décision politique. A qui revient le droit la prise de décision dans une collectivité politique organisée ? Mieux la prise de décision relève-t-elle aujourd’hui de la seule compétence du politique ? Dans le cas du divorce entre Lumana et PNDS, le Président Mahamadou Issoufou est-il le seul compétent (souverain) à décider pour tous ? A désigner qui peut être ministre ?

Assurément non. D’après notre observation, l’homme politique, ou le gouvernant tient compte aujourd’hui du poids politique de ses alliés, de leurs idées. Il tient aussi compte des manifestations des divers syndicats. Nous avons vu en France la force de la rue contre la décision étatique ou de l’assemblée nationale de légiférer contre la volonté des citoyens : ce fut par exemple la grande et longue manifestation des étudiants et des syndicats français contre le CPE, qui fut de gré ou de force rejeter. Ceci pour dire dans le sillage d’Hannah Arendt que ces forces sociales constituent de vrais contre-pouvoirs contre les abus du pouvoir et des assemblées, qu’ils soient du patronat politique ou du pouvoir en place. Donc en pratique, il y a gémellité de comportement entre le Boss de l’entreprise qui essaie de prendre des décisions sans l’aval du grand nombre, ou des actionnaires ; et qui se heurte en fin de parcours au rejet pur et simple de sa décision par les employés, et au plan politique par ses alliés.

Hama Amadou de Lumana a manifestement fustigé cette façon unilatérale, cavalière de Mahamadou Issoufou dans la prise de décision politique : le changement du gouvernement qui n’a pas reçu son aval, son appréciation. Pour Hama Amadou, Zaki a fait fi du poids politique que représentent les députés de Lumana à l’Assemblée et du nouveau quota de ses ministres dans le nouveau gouvernement. Hama Amadou s’est indigné du fait que Mahamadou Issoufou n’ait pas daigné observer un tant soit peu cette règle élémentaire de la démocratie qui commande de discuter entre alliés en vue de trouver, ce qui est bien utile pour tous. Mieux, ce qui correspond à l’intérêt collectif. Visiblement le changement de gouvernement surprise, montre clairement que classiquement les chefs des partis politiques, pour des intérêts égoïstes peuvent court-circuiter leurs amis politiques, et décider sans leurs avis. D’où aujourd’hui, la force de la société civile, qui de simples syndicats, et de sous-systèmes de syndicats, est devenue un cercle de forces, qui par leurs diverses actions, influencent sur les décisions arbitraires, passionnels des dirigeants.

Or toutes ces attitudes ne correspondent pas à l’essence de la Politique, au véritable art politique. Par leurs dissensions politique les alliés, « la classe politique dirigeante », nuit gravement à l’Etat et à sa tranquillité publique. La foire politique, la violence politique que nous expose cette classe politique dirigeante relève tout bonnement de l’immoral et de l’amoral.

La distinction entre immoral et amoral nous est clairement donnée par Jean-Marie Donegani Marc Sadoun en ces termes : « L’immoral, c’est ce qui est contraire à la morale ; l’amoral, c’est ce qui ne ressortit pas à l’ordre de la morale ou ce qui vient avant la mise en place de la morale » (Qu’est-ce que la Politique, Paris, Gallimard, 2007, p. 331). Dans cette perspective on peut en effet caractériser la lutte (agônè), ou le différend entre Lumana et PNDS, comme une violence politique qui fait fi de l’intérêt supérieur de l’Etat, et du sumphéron (l’intérêt général). Ainsi instruit on pourra mieux saisir le sens de la politique.

Qu’est-ce alors la politique ?

Chez Aristote la politique est posée comme nature (sans violence) et la violence contre nature. (p. 330). Autrement dit, si l’homme est défini par essence comme un animal politique, il n’a donc pas besoin de la violence. Selon la Physique d’Aristote, « est violent l’acte qui contraint une chose ou un individu à une motion qui ne peut être conçue comme actualisant sa nature. Il ne peut exister de violence politique dans une conception qui fait de l’homme un animal politique ». (P. 331). Autrement dit, étant donc que l’homme est conçu naturellement comme un animal politique, il va sans dire alors dans la perspective d’Aristote que politique et société sont d’un seul tenant, d’où l’exclusion de la violence dans la politique. La société est donc le lieu de l’affermissement de son être en tant qu’animal raisonnable. Cette raison lui permet donc délibérer sur les affaires politiques en tant que politès (citoyen). C’est seulement lorsqu’il y a velléité de contraindre sa raison que surgit la violence. Dans sa Physique, Aristote avance en effet que : « Est violent l’acte qui contraint une chose ou un individu à une motion qui ne peut être conçue comme actualisant sa nature. Il ne peut exister de violence politique dans une conception qui fait de l’homme un animal politique ». (Jean-Marie Donegani Marc Sadoun, op.cit., p. 331).

Pour Platon : la Politique comme technè, est la science des affaires de l’Etat (Politique, 627). D’où ta politika les affaires de l’Etat. (Dictionnaire Le Grand Bailly, GREC- FRANÇAIS, Rédigé avec le concours de E. Egger, édition revue par L. Séchan et P. Chantraine, Paris, Hachette, 2005, p. 1587). Quant à politeia elle désigne la constitution, ou régime politique. C’est aussi le titre grec de l’ouvrage de Platon que traduit le terme de République. Le concept de politeia est central dans la philosophie politique d’Aristote. Au sens large le terme politeia se réfère au « style de vie d’une cité » (Aristote, La Politique, IV, 11, 1295 b 1). Au sens strict, politeia désigne l’organisation des pouvoirs et des magistratures, auxquels les citoyens peuvent participer selon des modalités variables.

 Pour Jean-Marie Donegani Marc Sadoun, Kant a une approche non violente de la politique, en ce sens que pour la préservation de l’Etat, et afin d’éviter des troubles dans l’Etat, ou toute forme de séditions, il conseille l’obéissance stricte au souverain. Il refuse au citoyen le droit de résister et de désobéir au souverain. Car la désobéissance est impensable en ce que la finalité de la communauté politique n’est pas forcément et inconditionnellement le bonheur, c’est-à-dire la satisfaction naturelle de tous les besoins de l’individu humain en qualité, en quantité et en durée, mais la relation de droit, la sûreté du droit. « Le rôle d’une société politique est de retirer aux individus et aux groupements partiels le droit d’user de la force. La violence est l’acte qui vient contrarier la nature politique de l’homme, quel que soit le caractère premier ou second de cette nature. Et en cela l’individu ou le groupe qui l’exerce met la société en péril parce qu’ils sapent le sentiment de co-appartenance sans laquelle la communauté ne peut subsister » (Jean-Marie Donegani Marc Sadoun, op.cit., p. 334).

Il suit donc que la violence quelle que soit sa nature est l’envers de la politique, elle est donc du point de vue moderne, pré-politique. Elle est toujours un « état de méconnaissance de la co-appartenance humaine, état de méconnaissance de la reconnaissance de l’un et de l’autre » (p. 335).

Cela étant établi, ilme semble pertinent, qu’il faille pour en approcher l’intelligibilité du concept de politique, recourir à l’histoire comme organon. La vraie politique telle qu’elle se déroulait aux heures glorieuses de la polis athénienne au Ve-IVe siècle (communément appelée période hellénistique], ou le citoyen avait le droit de cité, i.e le pouvoir de participer aux affaires publiques, et aux différents pouvoirs,  n’est que le pâle reflet d’elle-même, car des courtisans zélés et des flagorneurs évincèrent les vrais orateurs de la polis pour se mettre au service du roi Démétrios Poliorcète. Il n’y a plus de débats honnêtes, mais des décrets arbitraires pour faire plaisir au nouveau maître de la polis. Etant donné qu’il n’y a plus de vraie politique, de stratèges digne de ce nom, de vrais magistrats, le sage conseille de fuir les affaires publiques de rechercher la tranquillité (hésychia) et la paix (eirenè). Car les conditions minimales d’objectivation du bonheur politique ne sont pas assurées au sein de la polis. Aristote lui-même dans le tard reconnaît impuissamment la fin de la démocratie de ancêtres.

Dans le livre VIII, 1 1337a 11-12, 22-24, 26-29 de La Politique, Aristote explique longuement comment l’Etat doit régler la vie des citoyens et de quelle manière les citoyens [et les hommes politiques] doivent se sentir liés à l’Etat. C’est dans cette perspective que contrairement à la position de Platon qui fait du philosophe le « roi politique » ou le « philosophe-roi », Aristote confère au philosophe un rôle très différent de celui que Platon lui reconnaissait. Le philosophe ne sera pas roi : il ne doit pas gouverner, il ne doit même pas légiférer. Telle fut l’attitude du philosophe Epicure au IVe-IIIe av. J.-C. En revanche, souligne Monique Canto-Sperber, le philosophe d’après Aristote peut contribuer à donner une formation philosophique et à enseigner la vertu politique au législateur, lorsque celui-ci devra rédiger une bonne constitution ou rectifier une constitution vicieuse.

Pour conclure, il faut dire que la tâche de l’homme politique dans un Etat ne consiste pas à susciter des staseis (troubles, des luttes partisanes), mais d’œuvrer en commun à sauvegarder la paix et la tranquillité qui sont les conditions sine qua non du bien-vivre. En face de la menace terroriste, il est d’un impératif catégorique de bannir dans l’Etat toutes luttes politiques, ou corporatistes, et penser au plus haut point à la sécurité collective et à l’intérêt supérieur de la nation.

 

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